Conflits au Nord Kivu : communiquer n’est pas informer

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fdlr_rebels_sud_kivu_z/radio Okapi

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(Syfia Grands-Lacs/RD Congo) Depuis la recrudescence, début mai, des conflits dans au Nord-Kivu, à l’Est de la RD Congo, la population a soif d’informations. Mais les journalistes se contentent souvent de relayer les discours officiels transmis lors des points-presse hebdomadaires des autorités. La société civile réclame une information crédible et non manipulée.

Depuis six mois maintenant, l’autorité provinciale organise chaque mardi un point-presse. « C’est la meilleure façon de relayer l’information !, estime Kisangani Endanda, professeur d’université – et ancien directeur de cabinet du gouverneur… Les journalistes qui y participent peuvent toucher un grand public. » Roberto Kituka, journaliste indépendant, est plus mitigé : « C’est bien d’organiser des points-presse. Mais la plupart des journalistes se contentent de relayer les discours officiels », « oubliant » de poser des questions sur les sujets qui préoccupent la population. Oubli souvent intéressé : les rédacteurs touchent alors « la peau de banane », comme on dit en RD Congo ; ils sont payés pour faire de la communication sous couvert de journalisme.
D’autres contraintes existent : « La politique de programmation des médias, souvent timorée, et les pesanteurs politiques qui ne permettent pas de donner toute l’information », explique Shemene Salumu, étudiant en deuxième licence, sciences politiques et administratives. Selon lui, si les politiques se préoccupaient vraiment d’informer la population, ils organiseraient des meetings ou des consultations populaires où tout le monde pourrait prendre part. Les points-presse se déroulent en effet à l’abri de la résidence du gouverneur ou dans son cabinet.

Contradictions
En réaction, la coordination de la société civile du Nord-Kivu a organisé, le 14 mai dernier, un « café de presse ». Selon Thomas Dakin Mwiti, président de la société civile, « en cette période conflictuelle, les communautés ethniques de la province sont confrontées à un manque de confiance. Les tribus se suspectent mutuellement. On n’accorde plus de crédit aux dirigeants. Une des causes de cette situation est l’absence d’une communication franche et crédible entre les différentes couches de la population ». Il dit avoir invité les autorités politico-administratives, policières et militaires, les humanitaires, tous les acteurs sociaux et les journalistes pour en débattre. La société civile et les journalistes, surtout, ont répondu présents.
La plupart ont relevé le nombre important d’informations contradictoires dans les médias locaux. « Au début du mois de mai, lors de l’émission Dialogue entre Congolais, de Radio Okapi, l’organe de la Monusco, l’autorité provinciale a déclaré qu’il n’y avait pas de guerre en province du Nord-Kivu. Alors que le reportage d’une journaliste de la même radio relatait des conflits dans le Masisi », s’étonne Mayi Safi, présidente d’une association de défense des droits humains. De son côté, Janvier Ziharirwa, directeur de la radio COMICO FM, la radio islamique de Goma, se lamente : « Nous sommes toujours critiqués, même si nous nous efforçons de respecter certains principes du journalisme. Mercredi dernier (le 9 mai), j’ai été interpellé au ministère provincial de la Communication : je suis accusé de partialité dans mon émission. Pourtant, quand j’invite les officiels, ils ne viennent pas ! »

Sans information, pas de confiance
Un exemple a fait consensus pour démontrer le manque de réactivité des médias. Suite aux déclarations de la Monusco et de l’ONG Human Rights Watch, selon lesquelles le gouvernement rwandais soutiendrait la rébellion du M23, la ministre des Affaires étrangères rwandaise, Louise Mushikiwabo, a affirmé à la BBC que « les paroles irresponsables de lobbies tels que HRW ne sont pas moins dangereuses que les balles ou les machettes » et que la Monusco répandait de fausses rumeurs. Selon les participants au café de presse, face des déclarations si divergentes, le rôle des journalistes devrait être de chercher la vérité. Sinon, « lorsqu’une information est controversée, la population reste dans l’ambiguïté », estime Morgan Hangi, spécialiste en communication. Et, si elle n’est pas levée, la population se méfie et des autorités, et des journalistes.
Le professeur Kisangani Endanda tient, pour sa part, à relativiser les vertus de la transparence pour les autorités. « La mission des gouvernants est d’être en communication avec la base, mais elle devient difficile lorsque les attentes de la population sont fortes. Celle-ci peut alors croire que l’autorité a un pouvoir magique, qui doit trouver solution à tout problème, oubliant qu’elle doit agir en priorité pour la province et non pour une ville ou un quartier. »
Reste néanmoins nombre de points à améliorer, que résume Tuver Wundi, président de Journaliste en danger (JED) : « Etablir un canal de communication permanent avec les journalistes ; que les autorités politico-administratives et militaires bannissent la ségrégation des médias ; qu’elles donnent la liberté de récolte et de traitement des informations ; et enfin que les journalistes laissent tomber les informations sensationnelles tout en regardant le contexte dans lequel l’information est diffusée. » Tout un programme en perspective.

Cosmas Mungazi

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