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    Interview : Guelord Luema, enseignant de droit à l’Université Paris XII contre la proposition des lois des députés Minaku et Sakata

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    Guelord Luema est un jeune doctorant en droit public et enseignant à la faculté de l’Université Paris XII. Bien que vivant en France, il reste collé sur l’actualité de son pays la RDC. Infobascongo l’a joint pour avoir sa lecture sur la proposition des lois Aubin Minaku et  Garry Sakata déposée à l’Assemblée nationale et déclarée recevable. Ces députés nationaux du Front commun pour le Congo(FCC), plateforme de l’ancien président de la RDC Joseph Kabila proposent trois lois sur la réforme judiciaire. Il y a entre autres: La possibilité pour le ministre de la Justice de prendre des mesures conservatoires à l’encontre d’un magistrat du parquet défaillant sans définir les cas considérés comme de défaillance, la fixation des modalités pratiques des enquêtes menées par l’inspectorat judiciaire sur les magistrats, l’intervention du ministre de la justice dans le choix et nomination de magistrats de la Cour Constitutionnelle. Cette proposition fait des vagues dans le pays.

    1.Infobascongo(IBC) : La proposition des lois des députés Aubin Minaku et Garry Sakata engendrent des protestations et des scènes de pillages. En votre qualité d’enseignant du droit, quelle lecture faites-vous de ces textes ?

    Guelord Luema (GLM): Cette proposition de loi s’inscrit indéniablement dans un processus d’affaiblissement de la magistrature amorcé depuis la révision constitutionnelle de 2011. Si la Constitution du 18 février 2006 intégrait le parquet dans le pouvoir judiciaire, la loi de révision constitutionnelle de 2011 en a réduit la composition du Pouvoir judiciaire aux cours et tribunaux. Ce processus d’amenuisement du pouvoir du parquet s’est traduit au plan législatif (loi organique du 11 avril 2013) portant organisation, fonctionnement  et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire) par la résurgence de l’autorité du ministre de la Justice sur le magistrat du parquet.

    2. IBC : Selon Minaku, il n’est nullement question de combattre les magistrats du parquet. Ils veulent que l’élan actuel au niveau du Parquet ne puisse pas s’estomper, parce que le peuple souhaite qu’il n’y ait plus d’impunité. Cette justification tient-elle la route ?

    GLM : Les initiateurs de la proposition de loi prétendent clarifier le pouvoir d’injonction du ministre de la Justice. Mais paradoxalement, ils n’en définissent pas la teneur exacte  préférant ainsi entretenir un flou favorable à une autorité démesurée du ministre de la Justice. Le ministre ayant la justice dans ses attributions peut, au titre de son pouvoir d’injonction, « prendre toute mesure administrative ou conservatoire que requiert l’expression, l’ajustement, la mise en œuvre et la préservation de la politique pénale telle que formulée par le gouvernement et appliquée par le ministre ayant la justice dans ses attributions ». Comme on peut clairement le constater, l’expression « prendre toute mesure administrative ou conservatoire » peut être source d’arbitraire dans le chef du ministre ayant la justice dans ses attributions. Il est en effet de nature à paralyser le cours normal de l’instruction préparatoire sur le pseudo fondement de son pouvoir d’injonction mis en œuvre pour appliquer la politique pénale gouvernementale. La Création de « la Conférence des procureurs près les juridictions de l’ordre judiciaire », ce cadre de concertation et d’orientation de la politique pénale gouvernementale, n’est qu’un prétexte créé pour valider des entraves du ministre de la Justice à l’exercice de l’action publique du parquet. On peut en outre analyser ce cadre comme destiné à supplanter progressivement le Conseil supérieur de la magistrature dans son rôle d’instance disciplinaire des magistrats. On observe sans ambages, au vu de ces considérations, que cette proposition est de  nature à porter atteinte au principe constitutionnel et supra-constitutionnel de l’indépendance de la justice marqué du sceau d’intangibilité par le constituant congolais(art.220 de la Constitution). Il convient de rappeler que l’indépendance de la justice est une conséquence directe d’une interprétation stricte du principe de séparation des pouvoirs, corollaire nécessaire à la protection juridique des droits fondamentaux.

    3. IBC : Le procès des 100 jours sur le programme d’urgence du président de la République a condamné une grosse pointure, son directeur de cabinet et allié. Dans le cadre de l’Etat de droit des poursuites pourraient être envisagées contre les dignitaires de l’ancien régime. Beaucoup pensent que les lois co-initiées par Minaku et Sakata visent de mettre à l’abri certains d’entre eux.

    GLM : Cette lecture de l’actualité juridique est tout à fait fondée dans la mesure où la présente proposition de loi intervient in tempore suspecto, c’est-à-dire au moment où la magistrature parait s’engager dans un processus de distanciation vis à vis l’autorité politique. Le procès des 100 jours ayant impliqué le directeur de cabinet du président de la République en est  certes une parfaite illustration. Mais il faut aussi ajouter à cet événement les différents mouvements de protestation contre la loi du 26 juillet 2018 sur le statut des anciens présidents de la République.  La proposition de loi des députés Minaku et Sakata est donc une bataille livrée contre les magistrats du ministère public qui décident sur l’opportunité des poursuites en matière pénale.

    4. IBC : Le VPM de la Justice au parlement le 19 juin dernier, a relevé la nécessité de se lancer dans les reformes judiciaires. Pensez-vous que ces lois proposées à la chambre basse sont urgentes ?

    GLM : Comme je viens de le relever supra, toutes ces propositions de réformes judiciaires amorcées actuellement  (in tempore suspecto) ne peuvent que s’analyser à juste titre comme tendant à affaiblir le ministère public titulaire de l’action publique. L’objectif étant de garantir l’impunité d’une certaine caste politique sous couvert du pouvoir d’injonction du Ministre de la justice.

    5. IBC : S’il faut des reformes judiciaires présentement en RDC, elles sont lesquelles et pourquoi ?

    GLM : Toute réforme s’inscrit dans un processus factuel. La plus importante actuellement consisterait, comme vous pouvez vous-même le constater, à réintégrer le parquet au sein du pouvoir judiciaire. Ce qui devra logiquement conduire à supprimer l’autorité du ministre de la justice sur les magistrats du parquet. Une telle réforme renforcerait l’indépendance de la justice qui est consubstantielle à l’existence de l’Etat de droit démocratique. Il ne saurait y avoir d’Etat de droit sans garantie constitutionnelle de l’indépendance de la justice.

    Il faudrait en outre réfléchir sur les possibilités de rendre plus dynamique le Conseil supérieur de la Magistrature  dans son rôle d’organe de gestion du pouvoir judiciaire et d’instance disciplinaire de la magistrature. C’est à ce prix que la RDC pourrait véritablement aspirer à un Etat de droit.

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